Perspective historique de l’extension juridique du droit à congés payés

Depuis plusieurs années déjà, s’est imposée judiciairement à travers le droit européen, la récupération des jours acquis et posés lorsque survient pendant la période de congés un arrêt maladie.
La Cour de cassation avait en effet opéré un 1er revirement de jurisprudence en 2007. Elle avait alors affirmé que lorsque le salarié s’est trouvé dans l’impossibilité de prendre ses congés payés annuels au cours de l’année prévue par la loi ou une convention collective en raison d’absence liées à une maladie professionnelle ou un accident du travail, les congés payés acquis doivent être reportés après la date de reprise du travail.
Puis par un 2nd arrêt rendu le 24 févier 2009, la Chambre sociale avait étendu cette solution y compris à la maladie ordinaire.

C’est une étape supplémentaire qui apparait aujourd’hui, avec l’acquisition des droits à congés payés y compris pendant un arrêt maladie.


Ajout du 19/09/2023 :

La Cour de Cassation suit désormais également les décisions des cours d’appel : les salariés acquièrent des droits à congés payés pendant un arrêt maladie

Dans un arrêt du 13 septembre 2023 n° 22-17.340 à 22.17.342, la Cour de cassation, eu égard à l’article 31§2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne sur le droit au repos, approuve la cour d’appel et écarte les dispositions du droit français qui ne sont pas conformes au droit de l’Union européenne.

Ainsi, elle juge que les salariés atteints d’une maladie ou victimes d’un accident, de quelque nature que ce soit (professionnelle ou non professionnelle) ont le droit de réclamer des droits à congés payés en intégrant dans leur calcul la période au cours de laquelle ils n’ont pas pu travailler.

La Cour de Cassation justifie ainsi son raisonnement juridique :

« Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne que la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, n’opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d’un congé de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période. Il s’ensuit que, s’agissant de travailleurs en congé maladie dûment prescrit, le droit au congé annuel payé conféré par cette directive à tous les travailleurs ne peut être subordonné par un État membre à l’obligation d’avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit État. S’agissant d’un salarié, dont le contrat de travail est suspendu par l’effet d’un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle, les dispositions de l’article L. 3141-3 du code du travail, qui subordonnent le droit à congé payé à l’exécution d’un travail effectif, ne permettent pas une interprétation conforme au droit de l’Union européenne. Dès lors, le litige opposant un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité de particulier, il incombe au juge national d’assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection juridique découlant de l’article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et de garantir le plein effet de celui-ci en laissant au besoin inappliquée ladite réglementation nationale. Il convient en conséquence d’écarter partiellement l’application des dispositions de l’article L. 3141-3 du code du travail en ce qu’elles subordonnent à l’exécution d’un travail effectif l’acquisition de droits à congé payé par un salarié dont le contrat de travail est suspendu par l’effet d’un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle et de juger que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail. »


Version initiale de l’article (30/08/2023) :

La cour administrative d’appel de Versailles reconnait désormais l’acquisition de droits à congés payés pendant une période d’arrêt maladie

Alors que :

  • le congé maladie ne figure pas dans la liste des temps de travail effectif énumérée dans l’article L3141-5 du Code du travail,
  • et que c’est donc un temps de repos,
    la Cour administrative d’appel de Versailles a jugé dans un arrêt en date du 17 juillet 2023, qu’il ouvre néanmoins à acquisition de droits à congés payés pendant sa durée.

Lire la décision :

Décision 22VE00442 du 17/07/2023 de la Cour d’Appel Administrative de Versailles

Le raisonnement juridique de la cour d’appel : à nouveau le droit européen, vis-à-vis duquel les pouvoirs publics français sont tenus de se mettre en conformité

A la fois pour le meilleur (comme dans le cas présent), mais aussi pour le pire (comme des prétentions de mise en place de procédure de censure politique...), le droit européen est venu ici appuyer le raisonnement du juge : la directive de 2003 sur le temps de travail s’oppose en effet au Code du travail.

L’Etat a donc été condamné à verser 10.000 euros plus 1.500 euros aux dépens à chacun des trois syndicats à l’origine de la plainte.

Fort impact de la jurisprudence pour les salariés en retour d’une longue maladie

Alors que les salariés en retour de longue maladie se retrouvaient sans congés ou quasi l’année de leur reprise (sauf convention collective contraire), cette nouvelle jurisprudence devrait donc leur permettre de prétendre à des droits à congés.

Cerise sur le gâteau : la prescription de 3 ans ne court que si l’employeur a mis le salarié en position d’exercer son droit

Si la Cour de cassation rappelle que le point de départ du délai de prescription de l’indemnité de congé payés est fixé à l’expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris (Cass. soc., 14 novembre 2013, n°12-17.409), elle considère néanmoins dans un nouvel arrêt (Cass. soc., 13 septembre 2023, n°22-10.529) que :

  • le droit au congé annuel payé constitue un principe essentiel du droit social de l’Union Européenne (CJUE, 6 novembre 2018, aff. C-570/16, Bauer) ;
  • que la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a jugé que l’article 7 de la directive 2003/88/CE et l’article 31§2 de la Charte des droits fondamentaux s’interprète en opposition à une réglementation nationale qui prescrirait un délai de trois ans à compter de la fin de l’année au cours de laquelle le droit est né, lorsque l’employeur n’a pas effectivement mis le travailleur en mesure d’exercer son droit (CJUE, 6 novembre 2018, aff. C-570/16, Bauer).

De ce fait, la Cour de cassation décide que le délai de prescription de l’indemnité de congés payés ne peut commencer à courir que si l’employeur a pris les mesures nécessaires pour permettre au salarié d’exercer effectivement son droit à congés payés. Tel n’est pas le cas si l’employeur ne reconnaissait pas le contrat de travail par exemple.