Non paiement d’une partie des indemnités compensatrices de congés payés (ICCP) des salariés intérimaires : une infraction et une déviance aux pratiques usuelles du travail temporaire

Ayant constaté une fraude au préjudice de milliers de salariés intérimaires, dont l’employeur Manpower capte une partie des indemnités compensatrices de congés payés, conformément à ses valeurs la CFTC Manpower a tenté de régler le problème par la raison et le dialogue. Devant les fins de non recevoir, celle-ci s’est rapidement retrouvée dans l’obligation de porter ce sujet en justice, dont l’enjeu porte sur plusieurs millions d’euros annuels [1] !
Voir notre article précédent détaillant la procédure, et présentant l’argumentation juridique issue du code du travail, du Ministère du Travail, ainsi que des jurisprudences de Cour d’appel et de Cassation.

Tentative par la CFTC d’action préventive des conflits au niveau de la profession : saisie de la Commission Paritaire Professionnelle Nationale du Travail Temporaire (CPPN-TT)

Au vu de l’entêtement de l’employeur Manpower, la CFTC a parallèlement à l’action judiciaire sollicité l’arbitrage interprétatif de la Commission Paritaire de la Profession du Travail Temporaire (CPPN-TT), justement en charge du règlement et de l’interprétation juridique des textes qui concernent la profession. Cette démarche a plusieurs fondements :

  • l’intérêt patronal n’est a priori pas de laisser prospérer des pratiques de distorsion de concurrence au sein de la profession, qui à terme pourraient même en toute logique imposer la création du droit nouveau d’acquérir des droits à jours de congés payés pour les salariés sous contrat de travail temporaire (même si ce n’est pas le cas en l’état actuel de la législation, la fraude dénoncée jouant justement sur deux tableaux contradictoires) ;
  • les salariés intérimaires sont les premières victimes de telles pratiques de dumping social ;
  • la commission paritaire saisie a justement pour fonction d’organiser la profession et de prévenir la répétition de futurs recours judiciaires, en particulier lorsqu’une problématique peut faire l’objet d’un arbitrage, ou bien être éclaircie et précisée lorsqu’elle a déjà été tranchée comme dans le cas présent par la Cour de Cassation (plus haute juridiction française) : selon ce principe, cette commission avait par exemple contribué à mettre fin aux problèmes de même type concernant le mode de calcul de l’indemnité de fin de mission (IFM), en élaborant l’accord d’interprétation du 9 juin 1998, relatif au versement de cette indemnité.

Et pourtant, surprise, l’organisme patronal Prism’Emploi (anciennement « Prisme ») décide qu’il ne se prononce pas sur le sujet du calcul de l’ICCP, « dans la mesure où cette question fait actuellement l’objet d’un contentieux » !?
La raison invoquée par le Prism’Emploi pour ne pas se positionner est totalement irrecevable intellectuellement :

  • La Cour de Cassation s’est déjà prononcée sur le sujet, et tous les contentieux en cours ou à naître, connus ou inconnus, sont donc de facto de juridiction inférieure. En particulier, le contentieux où la CFTC est intervenante volontaire est sur une juridiction de premier degré ;
  • A contrario, l’absence d’interprétation juridique au niveau de la profession elle-même (c’est à dire de volonté d’auto-discipline), qui plus est au niveau d’une commission dont c’est justement la fonction, ne peut qu’encourager la naissance et la multiplication future de contentieux.

Pourquoi le Prism’Emploi refuse-t-il de prévenir les conflits judiciaires relatifs au calcul d’ICCP des salariés intérimaires ?

De manière incompréhensible à première vue, le Prism’Emploi, syndicat patronal du travail temporaire et des agences emploi, a donc paradoxalement refusé de se positionner sur la problématique posée. Comment un organisme patronal peut-il accepter au sein de sa profession une distorsion de concurrence, et indirectement passer le message à ses autres entreprises adhérentes qui respectent la Loi, qu’elles feraient mieux de tenter elles-mêmes la fraude ? (L’entreprise Manpower est à ce jour isolée dans la profession du travail temporaire, sur le sujet de l’ICCP.)

Plusieurs causes peuvent l’expliquer :

  • Les plus grands acteurs du travail temporaire, dont fait partie Manpower, ont une grande influence au sein de l’organisme patronal, notamment au travers des moyens discrétionnaires qu’ils mettent à sa disposition : il est à noter que cette réalité est une infraction notamment à l’article L2135-8 du code du travail, puisqu’aucun texte conventionnel, ni de branche ni d’entreprise, n’autorise que ces grandes entreprises mettent à sa disposition les salariés qu’elles lui délèguent pour la réalisation de ses travaux ; selon cette interprétation, l’organisme patronal Prism’Emploi ne serait donc dans cette affaire, que la victime de sa trop forte dépendance vis à vis de certains de ses adhérents et par là-même de leurs intérêts particuliers.
  • Le Prism’Emploi a également pu intégrer au fil du temps, une logique où le profit financier passe avant le respect de l’ordre républicain : en l’occurrence, le mépris porté à la Loi et à la Cour de Cassation (sur un sujet pourtant somme toute plutôt clair et logique juridiquement), dénote une conception plutôt anglo-saxonne du droit, où le pouvoir de l’argent autorise et permet de négocier l’application du droit (chaque mois de fraude supplémentaire rapporte énormément de profit à l’employeur Manpower) ; le problème est que la représentativité de l’organisme patronal Prism’Emploi dépend de sa capacité à respecter l’ordre républicain (L2151-1 du code du travail), et que se faire l’instrument de profit particulier envers et contre le droit et l’intérêt général, n’est pas compatible avec l’esprit républicain.

La CFTC Manpower ne peut donc que déplorer l’atteinte que l’organisme patronal Prism’Emploi porte à sa propre considération, en portant le choix de neutraliser dans leur fonction les instances de la branche, à propos du calcul de l’ICCP des salariés intérimaires.


Voir aussi :