Ajout du 13/10/2017 :

La Cour de cassation a limité la portée de la procédure aux cas où l’échéance du contrat de travail temporaire porterait atteinte non pas à la reconnaissance d’un constat de fait de l’existence d’un contrat de travail à durée indéterminée, mais à droit d’annulation de sa rupture : motif lié à un critère de discrimination (âge, état de santé, etc), à la maternité, à une situation de harcèlement... Elle affirme en effet que ce n’est « que dans le cas où la nullité de la rupture est encourue que le juge des référés peut ordonner la poursuite du contrat de travail » (Arrêts n°16-20270 ; n°16-20.277de la chambre sociale de la Cour de cassation du 21 septembre 2017).

La Cour de cassation relativise ainsi l’article 5 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui a valeur constitutionnelle, que dispose en son que « chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi ». Par ce glissement, elle le ravale en un simple fondement juridique des différentes politiques de l’emploi et d’assistance et le relativiser en regard du droit à la liberté d’entreprendre des employeurs.


Ajout du 13/06/2016 :

La cour d’Appel de Rennes, dans son arrêt du 11/05/2016 (RG 14/04821 - 14/05658), confirme la requalification en CDI énoncée par le jugement de départage du 07/07/2014 (n°14/00387, 07/07/2014, Prud’hommes de Saint-Nazaire).


Version initiale du 26/08/2014 :

Nombreux sont les salariés intérimaires victimes d’abus dans la succession de contrats de travail temporaire dans le même poste, sans qu’ils n’aient d’issue pour sortir de la précarité :

  • soit ils acceptent l’absence de toute visibilité sur leur avenir, soumis au bon vouloir de l’entreprise utilisatrice qui un jour peut brutalement rompre leur relation de travail ;
  • soit ils réclament de manière amiable ou judiciaire leur requalification, avec pour seule conséquence une rupture de la relation contractuelle au terme normal du contrat d’intérim en cours au moment de leur démarche : les intérimaires ont alors perdu leur travail, la seule contre-partie qu’ils obtiennent alors s’ils vont aux Prud’hommes, étant une indemnité supplémentaire comme s’il s’agissait de licenciements sans cause réelle et sérieuse.

Un intérimaire a pourtant ouvert une démarche jurisprudentielle tout à fait efficace, qui contourne l’obstacle du bénéfice pour l’employeur de pouvoir se prévaloir du fait accompli en matière de rupture de la relation de travail. Le principe est le suivant :

  • obliger l’entreprise utilisatrice à maintenir la relation contractuelle jusqu’à la requalification en CDI ;
  • une fois la requalification en CDI obtenue, bloquer le licenciement, qui en présence du fait que le salarié agit en justice, empêche l’employeur de licencier sans démonstration d’une cause réelle et sérieuse !

Voici ci-après un récit de l’épopée judiciaire de ce salarié intérimaire, technicien informatique sous contrat d’intérim. Celui-ci avait été embauché le 10/07/2012, puis avait enchainé 18 missions d’intérim sur le même poste.

Attention ! Le salarié intérimaire qui souhaiterait entamer cette démarche judiciaire doit conserver à l’esprit que :

  • sa volonté claire de continuer à travailler est nécessaire pour lui permettre de soutenir sa demande de requalification en CDI : toute démarche opportuniste d’un salarié intérimaire, qui prétendrait obtenir des salaires tout en n’étant pas réellement à disposition de l’employeur auprès duquel il recherche une requalification, serait immanquablement déboutée ;
  • l’infraction à la succession des contrats d’intérim doit être solidement établie : ce n’est pas en soi parce que plusieurs contrats d’intérim s’enchainent dans la même entreprise utilisatrice, qu’il y a infraction et donc droit à requalification en CDI : en cas d’incertitude sur le fond de la requalification, le salarié intérimaire s’exposerait à devoir rembourser les salaires qu’il aura perçu lors de la période conservatoire, dans le cas où l’entreprise utilisatrice l’aurait dispensé de travail pendant cette période.

1° Saisine des référés, la date d’audience devant être fixée avant la fin du dernier contrat d’intérim

À noter : Si le temps restant à courir avant la fin du contrat d’intérim est court, il convient de vérifier auprès du greffe qu’il peut fixer l’audience de référés avant le terme du contrat d’intérim. À défaut, il peut être utile de procéder à une saisine par voie d’huissier, qui permet en effet au justiciable d’inscrire de lui-même son affaire, à une date d’audience existante.
Cette procédure en référés est nécessaire à titre conservatoire, pour permettre la poursuite de la relation contractuelle le temps que la requalification en CDI soit reconnue par une procédure au fond. En tout état de cause, ce n’est pas la procédure aux référés elle-même qui peut établir cette requalification.

Dans l’affaire présente, le salarié intérimaire a saisi les référés des Prud’hommes de Saint-Nazaire le 10/12/2013, dans un motif de conservation. L’ordonnance qui en résulte a été rendue après un détour en départage. La première audience avait été fixée le 17/12/2013, la décision de départage rendue le 20/12/2013, la seconde audience de départage tenue le 24/12/2013 et l’ordonnance finale de départage rendue le 27/12/2013 (n°13/00161, 27/12/2013, Prud’hommes de Saint-Nazaire). Celle-ci :

  • fait droit à la reconnaissance de dommage imminent, le fait que l’intérimaire puisse se retrouver sans travail à la fin prochaine de son dernier contrat de mission d’intérim le 31/12/2013, alors même que le fond est de savoir s’il devrait être en CDI et qu’une audience au fond sur cette question est prévue le 23/01/2014 (R1455-6, qui permet aux référés d’intervenir en décision conservatoire, même en présence d’une contestation sérieuse et en l’absence de trouble manifestement illicite) ;
  • ordonne la poursuite des relations contractuelles entre la fin du contrat d’intérim (31/12/2013) et jusqu’à ce qu’il soit statué sur le fond (audience 23/01/2014), sous astreinte de 100 € par jour (à compter du 01/01/2014) ;
  • condamne l’entreprise utilisatrice à 600 € au titre de dommage (article 700) et aux dépens.

Saisie en appel le 29/07/2014 par l’entreprise utilisatrice, après audience le 05/08/2014, la Cour d’appel de Rennes a confirmé le 19/08/2014 cette première ordonnance (n°14/06345, 19/08/2014, Cour d’Appel de Rennes).

2° Dans la foulée et en parallèle, saisine au fond pour faire requalifier la succession de contrats d’intérim en CDI dans l’entreprise utilisatrice

À noter : L’introduction au fond permet ensuite et parallèlement de demander la requalification en CDI de la succession des contrats d’intérim.
Cette démarche au fond de requalification n’est viable, que parce qu’elle s’appuie sur la mesure conservatoire de poursuite de la relation contractuelle demandée en référés.

Dans l’affaire présente, le salarié intérimaire a saisi le bureau de jugement, c’est à dire au fond, le 16/12/2013. Le jugement a ensuite été rendu en deux phases, après un petit détour partiel en départage :

  • Audiences des 23/01/2014 et 27/02/2014, jugement partiel du 15/05/2014 (n°14/00268, 15/05/2014, Prud’hommes de Saint-Nazaire) :
  • requalifie en CDI dans l’entreprise utilisatrice, la succession des contrats d’intérim du salarié intérimaire ;
  • condamne l’entreprise utilisatrice à 1900 € d’indemnité de requalification (L1251-41), 784 € de rappels de salaries bruts, 100 € pour non respect des délais de carence (L1251-36) ;
  • condamne l’entreprise utilisatrice à 1200 € au titre de dommage (article 700) et aux dépens dont frais d’huissiers ;
  • Audience du 30/06/2014, jugement de départage du 07/07/2014 (n°14/00387, 07/07/2014, Prud’hommes de Saint-Nazaire) :
  • ordonne la poursuite du contrat de travail de l’intérimaire, désormais un CDI, rendant obligatoire à l’entreprise utilisatrice de mettre en œuvre un licenciement, pour y mettre un terme ;
  • ordonne la remise des bulletins de salaires et déclarations aux organismes sociaux.

3° Saisine des référés le cas échéant, pour forcer le paiement des salaires et/ou annuler d’éventuelles tentatives de licenciement qui n’auraient d’autre cause que le différent judiciaire

L’entreprise utilisatrice voulant dans notre affaire forcer le fait accompli, adresse au salarié intérimaire une dispense de travail et lui interdit l’entrée dans l’entreprise, pensant que cela la dispensera de régler les salaires. Bien mal lui en prend, puisque la seule issue pour l’entreprise utilisatrice est désormais de trouver un motif de licenciement du salarié en bonne et due forme. Il est vrai qu’au vu de la situation, elle va devoir arguer de sa bonne foi !

À noter : Sans se contenter d’indemniser une absence de cause réelle et sérieuse de licenciement, la jurisprudence annule en effet le licenciement des salariés même non protégés, lorsqu’un lien s’établit entre une procédure en justice intentée par le salarié et la motivation de l’employeur à le licencier (arrêt n°12-17882 du 09/10/2013).

En attendant, dans le cas présent le salarié poursuit pour le moment avec succès des actions en référés, afin d’obtenir le paiement de ses salaires, en dépit du fait que l’employeur le dispense de travail.


Parallèlement à la présente démarche d’un intérimaire, une autre affaire a suivi cette année une démarche judiciaire apparentée, également avec succès : il s’agit d’un Prud’hommes de Laon, confirmé par la Cour d’appel d’Amiens (n°14/00061, 28/05/2014, Cour d’appel d’Amiens).


Pour suivre la poursuite de cette saga judiciaire, vous pouvez consulter le fil du salarié qui en est à l’origine : https://twitter.com/glazick