Janvier 2002 : la loi

La loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 parue au JO du 18 janvier contient un chapitre intitulé « Lutte contre le harcèlement moral au travail » (articles 168 à 180). Tous ont été déclarés conformes à la Constitution par le Conseil Constitutionnel. Ils s’appliquent depuis le 20 janvier 2002, aucun texte n’étant nécessaire à leur application.

S’agissant de la définition, toute référence à un lien d’autorité a été supprimée : le harcèlement moral peut être le fait de l’employeur, d’un supérieur hiérarchique ou d’un collègue. Afin d’assurer la prévention, divers acteurs voient leur champ d’intervention renforcé (délégués du personnel, CHSCT, médecine du travail...). Une obligation générale de prévention pèse par ailleurs sur l’employeur.
D’autres dispositions protègent les victimes lorsque le harcèlement est avéré : une procédure de médiation est mise en place, la charge de la preuve est aménagée dans un sens favorable au demandeur en cas de contentieux, et les syndicats peuvent agir en justice à la place des victimes. S’agissant de la répression, le harcèlement fait l’objet de sanctions disciplinaires, civiles et pénales.

Ce qu’il faut retenir :

  • Exécution de bonne foi du contrat de travail : le principe jurisprudentiel selon lequel le contrat de travail est exécuté de bonne foi est désormais inscrit dans le Code du travail.
  • Définition du harcèlement moral au travail : constituent un harcèlement moral les agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail d’un salarié susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
  • Protection des victimes et des témoins : aucun salarié ne peut-être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir les agissements constituant un harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés. Toute rupture de contrat de travail qui en résulterait ; toute disposition ou tout acte contraire est nul de plein droit.
  • Obligation de prévention de l’employeur : l’employeur doit prendre toutes les mesures nécessaires en vue de prévenir le harcèlement. Il doit protéger la santé physique et mentale des salariés et planifier la prévention en y intégrant notamment les risques liés au harcèlement moral.
  • Règlement intérieur : le règlement intérieur doit rappeler les dispositions relatives à l’interdiction de toute pratique de harcèlement moral.
  • Mission de prévention du CHSCT : le rôle du CHSCT est étendu à la protection de la santé physique et mentale des salariés. Le comité peut par ailleurs proposer des actions de prévention en matière de harcèlement moral.
  • Droit d’alerte des délégués du personnel : la procédure d’alerte dont disposent les délégués du personnel en cas d’atteinte aux droits des personnes ou aux libertés individuelles est étendue au cas d’atteinte à la santé physique et mentale des salariés.
  • Rôle du médecin du travail : le médecin du travail peut proposer au chef d’entreprise des mutations ou transformations de postes justifiées par des considérations relatives à la santé physique et mentale des salariés.
  • Médiation : une procédure de médiation est instituée pour les victimes de harcèlement moral ou sexuel. Toute personne de l’entreprise s’estimant victime de harcèlement moral ou sexuel peut faire appel à un médiateur, extérieur à l’entreprise et choisi sur une liste dressée par le préfet. Le médiateur convoque les parties et tente de les concilier.
  • Aménagement de la charge de la preuve : comme en matière de discrimination, en cas de litige concernant un harcèlement moral ou sexuel, le régime de la charge de la preuve est aménagé dans un sens favorable au demandeur.
  • Action en justice des syndicats : les organisations syndicales représentatives dans l’entreprise peuvent se substituer à un salarié victime de harcèlement sexuel ou moral pour ester en justice, sous réserve qu’elles justifient d’un accord écrit de l’intéressé. Celui-ci peut toujours intervenir à l’instance engagée par le syndicat et y mettre fin à tout moment.
  • Sanctions disciplinaires et pénales :
  • sanctions disciplinaires : Tout salarié ayant procédé à des agissements de harcèlement moral est passible de sanctions disciplinaires ;
  • sanctions pénales : La loi instaure deux sanctions pénales : une dans le Code pénal et une autre dans le Code du travail.
    Dans le Code pénal : un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende.
    Dans le Code du travail : un an d’emprisonnement et /ou de 3750 euros d’amende.

Le tribunal peut ordonner, aux frais de la personne condamnée, l’affichage du jugement dans les conditions prévues à l’article 131-35 du Code pénal et son insertion dans les journaux.

Le texte de la loi sur le harcèlement moral

Pour voir le le texte complet cliquez ici.

La loi du 11 janvier 2001 de modernisation sociale, adoptée par l’Assemblée Nationale en première lecture et après déclaration d’urgence, comporte des articles concernant le harcèlement moral. Enfin il existe une législation concernant le harcèlement moral. Elle est assez largement inspirée de la législation sur le harcèlement sexuel. Nous vous en livrons le texte ci-dessous. Vous retrouverez notre article après les textes.

Chapitre III bis

Lutte contre le harcèlement moral au travail
[Après l’article L. 120-3 du code du travail, il est inséré un article L. 120-4 ainsi rédigé :

« Art. L. 120-4. - Le contrat de travail est exécuté de bonne foi. »

Après l’article L. 122-48 du même code, sont insérés trois articles ainsi rédigés :

« Art. L. 122-49. - Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral d’un employeur, de son représentant ou de toute personne abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions, qui ont pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité et de créer des conditions de travail humiliantes ou dégradantes.

Aucun salarié ne peut être sanctionné ni licencié pour avoir témoigné des agissements définis à l’alinéa précédent ou pour les avoir relatés.

Toute rupture du contrat de travail qui en résulterait, toute disposition ou tout acte contraire est nul de plein droit.

Art. L. 122-50. - Est passible d’une sanction disciplinaire tout salarié ayant procédé aux agissements définis à l’article L. 122-49.

Art. L. 122-51. - Il appartient au chef d’Entreprise de prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les actes visés aux articles L. 122-49 et L. 122-50. »

Définition du harcèlement moral

L’avocat Paul Bouaziz propose comme définition, à titre provisoire, « tout comportement fautif de l’entreprise portant ou pouvant porter atteinte à la dignité du salarié et/ou à sa santé morale »

La psychiatre Marie-France Hirigoyen le décrit ainsi : « toute conduite abusive se manifestant notamment par des comportements ; des paroles, des actes, des gestes, des écrits, pouvant porter atteinte à la personnalité, à la dignité ou à l’intégrité physique ou psychique d’une personne, afin de mettre en péril l’emploi de celle-ci ou dégrader le climat de travail » Elle rajoute : « L’autre vous détruit, à force de petites choses ».

Quelques signes tangibles de Harcèlement moral au travail.

Les agissements passifs d’abord : oublis de convocation à une réunion, ne plus se voir relayer certaines informations, ne plus être recensé dans l’annuaire de l’entreprise, fournitures de bureau arrivant en retard, oubli de transmettre les messages téléphoniques, etc...

Les agissements actifs : médisances, remise en cause systématique du travail, attaques directes, notes comminatoires, etc..

Ces agissements ont des objectifs (cumulatifs ou pas) :

  • Empêcher la victime de s’exprimer.
  • Isoler la victime.
  • Déconsidérer la victime auprès de ses collègues.
  • Discréditer la victime dans son travail.
  • Compromettre la santé de la victime.

Pour que l’on puisse parler de harcèlement, il faut que ces agissements soient répétitifs et qu’ils s’étalent dans la durée.

  • Dans quel but ?

Selon l’avocat travailliste Maître Philippe Ravisy, l’emploi de ces procédés douteux réside dans « un management à l’économie ». Ce « processus d’usure psychologique » est mis en oeuvre lorsque le licenciement du salarié peut se révéler onéreux. On préfère ainsi acculer le salarié à la démission ou constituer un dossier pour ’justifier’ un licenciement pour faute grave (et donc sans indemnités).

Ce phénomène est loin d’être marginal, ainsi la Fondation Européenne pour les Conditions de Vie et de Travail, dans son enquête réalisée en 1996, relève un taux de 8% des actifs soumis à une forme d’intimidation ou de harcèlement moral, soit la bagatelle de 12 millions d’actifs européens...

Néanmoins, quelques profils de victimes peuvent être distingués :

les salariés anciens considérés comme trop bien payés (prime d’ancienneté, salaire plus élevé qu’un jeune embauché), voire moins productifs ;

les femmes enceintes ; en cas de changement d’équipes dirigeantes, les cadres supérieurs.

Autres catégories : tous ces salariés qui ne rentrent pas dans le moule de la flexibilité et de l’omerta de l’entreprise : cadre s’opposant à une décision qu’il pense mauvaise, salarié refusant de rester tard le soir pour dépanner, les syndicalistes, ainsi que, selon M.F Hirigoyen : « les grandes gueules ou les fortes personnalités . Et des gens qui s’investissent dans l’écoute de l’autre. ».

  • Le Harceleur ?

Le harceleur a une grande force de conviction et sait inverser les rôles en se posant parfois même cyniquement en victime...de la victime

Il représente souvent l’entreprise et tous ses rites. Sa position dominante rend son autorité difficilement discutable. Il peut même parfois développer des traits de pervers narcissique. Ces comportements sont exacerbés dans les entreprises où le culte de la productivité prend le pas sur le respect de la personne humaine et où elle devient une variable d’ajustement. (Maître Pierre Mairat indique que « c’est dans les entreprises du tertiaire que l’on rencontre le plus fréquemment les conduites abusives »). Ou alors être un manager maladroit, lui même stressé par sa hiérarchie, prenant sa facilité à élever la voix pour une qualité incontournable pour tenir ses objectifs. Le harceleur peut être un harcelé, se sentant obligé de reproduire les schémas brutaux qui lui sont appliqués.

  • Quelle riposte ? La résistance à l’oppression

Tout d’abord tout noter (la chronologie des faits pourra être utile à votre défenseur), et ne pas hésiter à demander de l’aide au délégué du personnel, membre du CHSCT, à l’assistante sociale, à l’Inspecteur du travail.
L’Inspectrice du travail Agnès Solelhac, dans un colloque sur ce sujet, a souligné le rôle important des institutions représentatives du personnel.

Hormis ces conseils basiques, nous vous invitons à vous reporter à l’excellent ouvrage de Maître Philippe Ravisy « Le harcèlement moral au Travail », publié chez Delmas (85F), qui constitue à notre sens le premier ouvrage remède à ce fléau moderne du monde du travail. Vous y trouverez des lettres types pour vous aider à bâtir votre dossier et des conseils juridiques, tout en vous rappelant que le harcèlement moral n’existe pas dans le Code du Travail. Néanmoins des biais existent, c’est toute l’intelligence du livre de Maître Ravisy que de les exposer clairement, y compris pour les profanes.

Un salarié peut-il se plaindre aujourd’hui d’un « harcèlement moral » ?

La loi de modernisation sociale prévoit un dispositif légal de répression du « harcèlement moral », diverses décisions judiciaires témoignent de la prise en compte anticipée de cette notion par les tribunaux.

L’entreprise doit prévenir tout « harcèlement »

Tenu d’exécuter le contrat de travail de bonne foi, l’employeur doit s’abstenir de toute manœuvre visant à nuire aux salariés. Qui plus est, il doit prévenir toute attitude de harcèlement commise par une autre personne ayant autorité sur les salariés. Ainsi, la Cour de cassation a déjà jugé que l’employeur est tenu d’assurer un climat de travail sain et de mettre fin à des agissements nuisibles aux salariés. Dans ce but, il doit s ’opposer au comportement d’un cadre lorsque celui-ci jette le discrédit sur une salariée qui est sa subordonnée, l’affectant personnellement et portant atteinte à son image et à sa fonction (Cass.soc., 15 mars 2000, n°97-45.916, France Restauration Rapide/Gavin).

La notion de harcèlement n’ayant pas encore été définie par la loi, les tribunaux apprécient librement quels sont les comportements incompatibles avec l’obligation d’exécution de bonne foi de l’employeur. Il est souvent retenu que commet une faute l’employeur qui abuse de son pouvoir de direction tout en sachant qu’il nuit alors au salarié. Ainsi, si l’employeur est libre de formuler des reproches professionnels à l’encontre d’un salarié, il commet en revanche un abus répréhensible lorsque ses reproches sont non fondés et exprimés de manière vexatoire en public (CA Nancy, 13 nov.2000, Christophe c/ SA Vieroc).

Pour apprécier l’existence d’un abus, les juges examinent la conformité des actions de l’employeur à ce qu’il est normalement attendu de lui et au préjudice moral ou physique qu’il a causé au salarié. Par exemple, il a été jugé que « l’acharnement disciplinaire » d’un employeur ayant conduit au suicide devait être réparé par l’octroi de dommages et intérêts à sa veuve et à son fils : en l’espèce, l’employeur avait sanctionné un salarié deux fois en l’espace de trois semaines en raison de mauvais résultats, alors que ce reproche n’était pas établi ; ces mesures disciplinaires, ajoutées à un climat de défiance à l’égard du salarié, ont été considérées par les juges comme étant à l’origine du suicide (TGI Bobigny 7 déc.1999, Chapet c/S Hella).

Quelles peuvent être les conséquences pour l’employeur d’un harcèlement du salarié ?

Comme nous l’avons vu précédemment, il importe peu que l’employeur soit directement l’auteur du harcèlement ou que celui-ci soit commis par un subordonné ayant autorité sur les salariés. En revanche le harcèlement commis par d’autres salariés ne semblent pouvoir être reproché à l’employeur que si celui-ci a connu les faits et laissé faire.

  • Si le salarié a démissionné

Bien souvent, les manœuvres de harcèlement sont destinées à provoquer la démission du salarié. Une fois sa démission donnée, celui-ci peut cependant saisir le Conseil des Prud’hommes pour remettre en cause sa démission et obtenir des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, une indemnité de préavis et une indemnité de licenciement.
En effet, si la démission a été donnée suite à des pressions prouvées de l’employeur ou d’un supérieur hiérarchique, il y a lieu de considérer que le salarié n’a pas fait preuve d’une volonté claire et non équivoque de démissionner. Dès lors, la démission n’est pas admise au plan juridique et l’employeur est jugé seul responsable de la rupture du contrat de travail.

Le salarié peut aussi directement prendre acte de la rupture aux torts de l’employeur en invoquant une faute de ce dernier (le harcèlement) : il est alors en mesure de prétendre à des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, une indemnité de préavis et une indemnité de licenciement.

  • Si le salarié saisi directement la justice

Le comportement de harceleur peut être à l’origine de deux actions en justice :

  • le salarié peut demander qu’une faute soit reconnue et que l’employeur soit condamné à l’indemniser du dommage moral subi du fait du harcèlement. Ce dommage sera apprécié librement par les juges sans montant minimum ou maximum ;
  • il peut aussi demander la résiliation juridique du contrat aux torts de l’employeur, ce qui entraînera des indemnités prévues en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Contrairement à la prise d’acte de la rupture aux torts de l’employeur (voir ci dessus) , le salarié ne s’expose pas en principe au risque de se retrouver sans emploi si son action en justice échoue.
  • Si le salarié est licencié ou sanctionné

A ce jour, le licenciement consécutif à un harcèlement n’est pas susceptible d’être annulé (ce que prévoit le projet de loi, voir encadré ci-dessous). En revanche, lorsque le licenciement ou la sanction disciplinaire est l’aboutissement d’un harcèlement, non seulement il sera jugé dépourvu de cause réelle et sérieuse, mais qui plus est le salarié sera en droit d’obtenir des dommages et intérêts supplémentaires réparant le caractère vexatoire de la mesure.
Ainsi, si des actions déstabilisantes de l’employeur sont à l’origine de l’inexécution par le salarié de sa prestation de travail, la rupture du contrat de travail s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 16 juill. 1998, n°96-41.480, Bringel c/S Bronzes Strassacker ; CA Poitiers, 30 mai 2000, Chaigneau c/ Morisset).

  • Si le salarié est en arrêt de travail

L’arrêt de travail pour dépression nerveuse est courant suite à un harcèlement moral. Il a été admis la prise en charge d’un tel arrêt au titre d’un accident de travail au bénéfice d’une salarié victime d’un autoritarisme de ses supérieurs hiérarchiques : il avait été retenu que son état anxio dépressif était en rapport avec les problèmes rencontrés dans le travail (Tass Versailles, 21 janv. 1999, Viard c/Cramif). De même, la tentative de suicide d’une salariée « soumise à une pression psychologique impitoyable » de sa supérieure a été qualifiée d’accident de travail (Tass Epinal, 28 févr.2000, Rousseaux c/CPAM des Vosges).

Comment prouver le harcèlement ?

La preuve du harcèlement peut être rapportée par tous les moyens : témoignages, attestations, écrits, lettre d’avertissement...
Au delà de l’établissement matériel des faits reprochés par le salarié, il importe de prouver qu’il s’agit d’un comportement condamnable de l’employeur.
Or le harcèlement reste une notion subjective : les seules assertions du salarié ne sauraient suffire en principe à condamner l’employeur.
Ainsi, un refus de promotion peut être perçu comme une « mise au placard » sans que cela soit qualifiable de harcèlement.

Sources :