La CFTC Manpower est pleinement associée au Comité Central d’Entreprise (CCE) dans l’analyse critique des modalités, objectifs et conséquences du projet Envergure actuellement déployé par les dirigeants de l’entreprise Manpower.

En particulier, voici ci-après la motivation de l’avis négatif rendu à l’unanimité des 17 votants du CCE le 19/02/2015.

(Note : Les informations considérées comme internes à l’entreprise au moment de cette publication ont été remplacées ci-après par « XXX » dans le texte.)

Information / consultation du CCE sur les orientations stratégiques

« Après avoir pris connaissance du rapport de notre expert SECAFI, les élus du CCE font le constat amer d’une stratégie d’entreprise qui continue à privilégier les gains de productivité sur l’emploi et l’optimisation des bénéfices du CICE [1] pour produire une rentabilité toujours plus importantes pour ses actionnaires. L’année 2014 a été une année exceptionnelle pour Manpower au niveau mondial mais des efforts toujours plus importants sont demandés aux salariés intérimaires et permanents :

  • des efforts d’adaptation : mobilités géographique, nécessité d’apprendre à travailler avec de nouveaux managers, de nouveaux clients, de nouveaux intérimaires, un niveau d’exigence toujours plus élevé pour les responsables d’agence qui doivent piloter des équipes plus nombreuses et mutualisées sans leur donner les moyens d’y répondre, nouvelles pratiques professionnelles pour les salariés des Services Clients Dédiés qui doivent s’approprier les méthodes du lean management ;
  • des efforts de productivité : alors que les activités de Manpower en France progressent de 1,2% à fin octobre, l’effectif permanent est en baisse de 4,2%, au profit d’un recours plus massif à des contrats précaires (+10%).

Après un an, le projet « Envergure » est encore bien loin de tenir ses promesses :

  • Une croissance globale de 0,2 point de parts de marché pour un objectif de 1 point sur 3 ans, avec des régions où la situation devient inquiétante comme la Région Ouest alors que le potentiel de marché y est le plus important de France.
  • Un taux de profitabilité qui augmente de XXX point pour un objectif à XXX points. Si l’on neutralise l’effet du CICE Manpower France SAS dégage même un résultat net proche de 0 M€ en 2014 ! Cette situation économique est préoccupante et il est urgent que Manpower mette en place des moyens en mesure de redresser la situation.
  • Un CA recrutement qui doit doubler en 3 ans et qui ne se développe que de 9% en 2014.
  • Alors que pourtant, tous les bureaux d’étude (DARES, Pôle Emploi, Prisme Emploi) confirment une reprise du marché de l’intérim en France en 2014.

Les objectifs économiques d’Envergure sont même revus à la baisse : ainsi, par exemple les économies de locaux sur 3 ans ne seraient plus de XXX M€mais de XXX, soit moins de XXX% du résultat net de l’entreprise en 2012. Était-ce bien nécessaire de mettre en mouvement tout le réseau pendant 3 ans pour une si faible économie ? Si les économies de locaux attendues sont revues à la baisse de XXX% en année 2, quelle est la crédibilité des estimations projetées ?
Après une année de déploiement, les inquiétudes du CCE qui s’étaient concrétisées par la remise d’un avis défavorable en avril 2014 sont encore renforcées :

  1. L’approche d’Envergure qui déploie des modèles types en fonction de la densité des agglomérations (XXX) ne tient pas compte de la réalité des potentiels économiques des territoires : il nous semblerait plus pertinent de prévoir des moyens là où l’emploi intérimaire se développe et là où le taux de recours est élevé. De nombreux ajustements ont ainsi été réalisés en Ile de France pour s’adapter aux bassins d’emploi et faire évoluer un projet qui était bâti sur la base des principes Envergure et sans réelle connaissance du terrain
  2. A l’origine du projet Envergure, 6 critères de performance avaient été identifiés pour qualifier une agence profitable. Pourtant, les outils de pilotage ne semblent pas configurés aujourd’hui pour suivre ces indicateurs de manière consolidée au niveau national, si bien qu’il n’est toujours pas possible de vérifier la pertinence de cette approche. L’entreprise est partie de 6 critères fondamentaux pour évaluer la performance de son réseau…. Mais aujourd’hui elle ne s’en sert plus !
  3. Envergure a été piloté de manière très décentralisée, Direction Régionale par Direction Régionale. La conduite de projet se réduit aujourd’hui à une gestion des implantations immobilières et le déploiement global du projet ne fait pas l’objet d’un pilotage en mode projet : à titre d’exemple pas de suivi des mobilités depuis juin en IDF, pas de suivi de l’effectivité des indicateurs de performance, etc.
  4. Les projets clés (XXX) qui devraient permettre une amélioration de l’agilité de Manpower avec ses clients, ont pris du retard alors que les projets moins prioritaires (coffre-fort numérique, application mobile) et qui concernent les intérimaires ont été déployés en 2014. Pourtant, les études externes semblent confirmer l’attachement des salariés intérimaires au réseau d’agence et leur faible taux d’équipement en nouvelles technologies. Notre impression est que Manpower va trop vite pour faire évoluer sa relation avec les salariés intérimaires et pas assez vite pour faire évoluer sa relation avec ses clients.

Au-delà de l’impact économique et financier, nous souhaiterions disposer régulièrement d’un suivi précis du taux de renouvellement des effectifs sur les salariés permanents et intérimaires afin de mesurer l’impact social.
Dans une interview presse récente, notre DRH affirmait : « C’en est fini des pas de porte, des agences et des relations physiques. ».

Nous ne reconnaissons plus l’entreprise qui nous a embauchés :

  • le modèle d’agence intégré vitrine de l’entreprise et fonctionnant comme une PME laisse la place à une entreprise cloisonnée où les agences sont positionnées sur la vente et le back-office est organisé dans des centres de services partagés ;
  • le mouvement massif de digitalisation éloigne les intérimaires sans qu’une étude d’impact ne permette de mesurer les risques d’une telle transformation.

Face à de tels changements, le plan d’adaptation se réduit à un plan de formation dont le financement reste encore obscur.

Depuis 2004, Manpower est engagé dans un mouvement permanent : création de la holding, plan Refondation, plan Valmy, plan Envergure… Au fil des dirigeants, nous passons d’une stratégie à l’autre mais nos faiblesses sont toujours les mêmes et les challengers gagnent toujours un peu plus de terrain. Les errances répétées de la gouvernance de Manpower préoccupent sérieusement les membres du CCE tant économiquement que socialement. Le recul de notre chiffre d’affaires en 2014 sur les clients « XXX » cible pourtant identifiée comme prioritaire par Manpower, est un bel exemple de cette situation.

Dans ces conditions, le CCE remet un avis défavorable sur les orientations stratégiques présentées par Manpower France SAS au titre de l’article L2323-7-1 pour l’exercice 2015 et sur le projet Envergure au titre des articles L2323-6 et L2323-27. Cet avis ne pourra cependant pas s’imposer aux instances locales CE et CHSCT qui doivent par ailleurs rendre leur avis sur les déclinaisons locales du projet Envergure. Lorsqu’elles ne sont pas terminées, les consultations en cours devront donc continuer loyalement dans le respect des prérogatives propres de ces instances.

Nous demandons à la direction :

  1. De nous communiquer de manière trimestrielle un état des mouvements d’agence (déménagement, ouverture, fermeture) et des regroupements sur sites en fonction des objectifs 2015. Ce tableau doit être inclus dans la Base de Données Economique et Sociales et communiqué avec une mise à jour à chaque CCE.
  2. De nous communiquer de manière trimestrielle un suivi des mobilités internes au sein du réseau.
  3. De communiquer au CCE l’ensemble des avis des instances locales (CE et CHSCT) qui sont et seront remis dans le cadre des consultations sur les déclinaisons d’Envergure.
  4. D’attribuer à la Commission Economique davantage de moyens pour lui permettre de poursuivre le travail effectué : à projet exceptionnel moyens exceptionnels. Le
    suivi d’Envergure implique une mobilisation très importante des membres de la Commission Economique et le travail effectué en témoigne.
  5. D’entamer avec le CCE une procédure d’information / consultation dans le cadre de la mise en place de nouvelles technologies, conformément aux articles L2323-13 et L2323-14 qui prévoient que :
    1. « Le comité d’entreprise est informé et consulté, préalablement à tout projet important d’introduction de nouvelles technologies, lorsque celles-ci sont susceptibles d’avoir des conséquences sur l’emploi, la qualification, la rémunération, la formation ou les conditions de travail.
    2. « Lorsque l’employeur envisage de mettre en œuvre des mutations technologiques importantes et rapides, il établit un plan d’adaptation. Ce plan est transmis, pour information et consultation, au comité d’entreprise en même temps que les autres éléments d’information relatifs à l’introduction de nouvelles technologies. Le comité d’entreprise est régulièrement informé et consulté sur la mise en oeuvre de ce plan. ».
    3. Cet avis sera transmis à notre actionnaire américain et, conformément à l’article L 2323-7-1 du code du travail, nous attendons une réponse argumentée de sa part. »

Voir aussi :